La responsabilité sociétale des entreprises ou responsabilité sociale des entreprises (RSE, en anglais corporate social responsibility) désigne la prise en compte par les entreprises, sur une base volontaire, et parfois juridique1, des enjeux environnementaux, sociaux, économiques et éthiques dans leurs activités. Les activités des entreprises sont ici entendues au sens large : activités économiques, interactions internes (salariés, dirigeants, actionnaires) et externes (fournisseurs, clients, autres)2.
L’enjeu de la RSE résulte au départ de demandes de la société civile (associations religieuses, écologiques, humanitaires ou de solidarité) d’une meilleure prise en compte des impacts environnementaux et sociaux des activités des entreprises, qui est née, notamment, des problèmes d’environnement planétaire rencontrés depuis les années 1970. Une récente étude a montré que les engagements pris par les entreprises influencent de plus en plus la prise de décision des consommateurs et des collaborateurs : 80 % et 94 % d’entre eux ont respectivement déclaré qu’ils étaient davantage susceptibles d’acheter des produits ou de travailler pour une entreprise engagée en faveur de la préservation de l’environnement3. La RSE trouve aussi une inspiration dans la philosophie « agir local, penser global » (René Dubos). Il s’agit alors d’intégrer le contexte mondial et local dans la réflexion stratégique.
Même si le couplage entre le RSE et le développement durable fait encore l’objet de débats, la RSE est souvent comprise en Europe comme la mise en œuvre dans l’entreprise des exigences de développement durable, qui intègrent les trois piliers environnemental, social, et économique. Ce couplage a été illustré par la participation de multinationales au sommet de la Terre de Rio en 19924, puis au sommet de la Terre de Johannesburg en 2002.
La RSE tend aussi à redéfinir les responsabilités des entreprises, c’est-à-dire la prise en compte par les entreprises des attentes de ses parties prenantes internes ou externes : au-delà des controverses sur cette notion de « partie prenante », l’enjeu, très présent dans la norme ISO 26000, est notamment d’organiser les devoirs de l’entreprise vis-à-vis de personnes ou groupes qui ne peuvent pas faire valoir de contrats (salarial, commercial…) ni de réglementation pour faire valoir leur demande auprès d’une entreprise.
Selon une récente étude intitulée « Money Machines 2022 » en France et dans le monde, 93 % des personnes interrogées estiment que le développement durable et l’engagement sociétal sont plus « importants que jamais »5.
La RSE et le développement durable font l’objet de multiples controverses.
La question de la responsabilité en entreprise est intimement liée à la religion en général, à la religion protestante en particulier. Max Weber montre en quoi la religion protestante a joué un rôle structurant dans le développement du capitalisme6.
On peut considérer toutefois que la responsabilité sociale des entreprises plonge également ses racines dans le socialisme utopique du Britannique Robert Owen, de sensibilité déiste, connu pour être le père fondateur du mouvement coopératif et du socialisme britannique. Owen fonda des communautés des deux côtés de l’Atlantique entre 1820 et 1860. On peut citer aussi le négociant Francis Cabot Lowell et ses associés, qui fondèrent à Waltham près de Boston des filatures qui furent considérées comme le lieu de naissance de la révolution industrielle américaine. Lowell mit en œuvre une démarche sociale inspirée du modèle coopératif d’Owen, développant un nouveau système industriel sans créer de prolétariat7.
L’un des représentants du paternalisme, Samuel D. Warren, imposa dans son entreprise, la S.D. Warren Company, leader de l’industrie du papier, un management paternaliste de refus du syndicalisme dans un secteur fortement syndicalisé. Il prônait un système d’échange-don entre employeur et travailleur dans lequel la sécurité économique et la protection sociale sont assurées en échange de la loyauté et du renoncement à toute forme de revendication (refus de la présence syndicale). Ce modèle s’est perpétué jusqu’à la fin des années 19608.
La responsabilité sociale est une problématique abordée par les dirigeants aux États-Unis à partir de la fin du xixe siècle dans le cadre d’activités philanthropiques. L’un des piliers de ce mouvement est Andrew Carnegie qui, dans l’Évangile des riches, s’interroge sur les responsabilités des riches hommes d’affaires qui se doivent de mener une vie non ostentatoire et affirme que tout surplus de richesse doit être dirigé vers l’intérêt public9.
Chez les protestants les nouvelles théories s’intéressent à la relation entre l’entreprise et la société, considérant que la propriété n’est pas un droit absolu et ne peut être justifiée que dans le sens où l’administration privée des biens permet d’accroître le bien-être de l’ensemble de la communauté. Les grands défenseurs de ces théories sont Chester Barnard, Henry Ford, Alfred P. Sloan, Thomas Edison et Charles Coffin9.
Les catholiques, quant à eux, ont pris position avec Léon XIII et l’encyclique Rerum novarum (1891) : les riches et les patrons ne doivent en rien traiter l’ouvrier en esclave ; il importe de respecter leur dignité. Pie XI continuera ce questionnement avec l’encyclique Quadragesimo anno (1931). Jean-Paul II commence à aborder dans l’encyclique Centesimus annus (1991) la question de l’écologie, considérant que l’homme consomme de manière excessive et désordonnée les ressources de la planète10.
Aux États-Unis, où la religion occupe une place bien plus importante qu’en France, avant la responsabilité sociale des entreprises (corporate social responsibility en anglais) d’autres formes existaient comme l’investissement socialement responsable (ISR), qui initialement était porté par différentes confessions religieuses comme les Quakers10.
Le concept de corporate social responsibility proprement dit apparaît à partir des années 1950–1960 dans la littérature anglophone consacrée aux entreprises avec Social Responsibilities of the Businessman de Howard Bowen (1953)11, et The Responsible Company de George Goyder (1961). Il a depuis fait l’objet d’une élaboration théorique chez plusieurs chercheurs anglophones et francophones (voir, notamment les travaux de l’École de Montréal et ceux qui se réfèrent à la Théorie de la régulation12).
À partir de la fin des années 1950, la responsabilité sociale des entreprises fait son entrée dans le champ académique aux États-Unis. On retiendra quelques dates-clés13 :
Depuis le début des années 1960, les premiers cours consacrés à la relation entre business et société ont été créés dans les plus grandes universités et les Business Schools pour atteindre la totalité des établissements des États-Unis en 1974, soit 660 cours concernant 65 000 étudiants14.
En 1984, R. Edward Freeman apporte une définition au concept de partie prenante (stakeholder en anglais), appelé à jouer un rôle central dans la responsabilité sociale des entreprises : « une partie prenante dans l’organisation est (par définition) tout groupe d’individus ou tout individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs organisationnels »15. Le mot stakeholder est un néologisme jouant tant avec le terme stockholder (désignant l’actionnaire) qu’avec celui de shareholder (désignant ceux qui partagent les bénéfices, incluant les actionnaires), construit dans le but de faire prendre conscience de l’impact environnemental et social de l’activité des entreprises et de la nécessité d’agir au-delà de la simple profitabilité économique exigée par les actionnaires16.
En 1997, Mitchell, Agle et Wood ont entrepris une démarche ambitieuse qui les a conduits à :
Cette typologie permet une analyse des parties prenantes, selon la grille dite de Mitchell.
Au sommet de la Terre de Rio en 1992, une cinquantaine d’entreprises multinationales, regroupées par l’homme d’affaires suisse Stephan Schmidheiny au sein du consortium BCSD (Busines Council for Sustainable Development) sont invitées à participer aux côtés des représentants politiques officiels et des ONG. Le cercle s’élargit en 1995 pour former le WBCSD (World Busines Council for Sustainable Development).
En parallèle, le consultant John Elkington, à la tête du cabinet de conseil SustainAbility, forge le concept de triple bottom line (triple performance) pour exprimer l’intégration des trois dimensions sociale, environnementale, et économique du développement durable dans les démarches de RSE des entreprises, qui formeront dorénavant la structure de la plupart des outils de pilotage des grands groupes4.
La RSE se définit d’abord par rapport à la notion de responsabilité. Elle consiste donc à la fois en un « devoir de rendre compte de ses actes » (enjeu du reporting, des audits, etc.) et « d’en assumer les conséquences » (enjeu des actions en réparation et en prévention). Cette définition n’est cependant opératoire qu’après avoir précisé : 1) par rapport à quels acteurs sociaux ce devoir existe et 2) quelle est la nature des actes et des conséquences que l’entreprise doit assumer. D’où l’importance accordée par la norme ISO26000 (inspirant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance) à la place des parties prenantes dans la gouvernance de l’entreprise, au « dialogue » avec les parties prenantes avec lesquelles se construit, de façon coopérative ou conflictuelle selon le cas, ce devoir de RSE pour chaque entreprise. De ce fait, le caractère « volontaire » revendiqué pour les démarches RSE (voir par exemple, les positions de la Commission européenne) ne se comprend que par opposition à des exigences réglementaires : en pratique, c’est aussi souvent sous la contrainte économique (de ses clients ou de ses donneurs d’ordres, par exemple) qu’une entreprise investit pour améliorer sa RSE.
Une conception dominante en France définit le contenu de la RSE en rapport avec la notion de développement durable, déclinée au niveau des entreprises, comme le confirme une recommandation du Ministère français de l’écologie et du développement durable18. Le lien entre cet objectif macrosocial et la satisfaction des attentes des parties prenantes de l’entreprise est toutefois assez complexe, d’autant que le développement durable ne concerne pas seulement les entreprises, mais aussi l’ensemble des agents économiques.
La Commission européenne dans son livre vert sur la RSE (2001) indique que « la plupart des définitions de la responsabilité sociale des entreprises décrivent ce concept comme l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ».
La responsabilité sociétale des entreprises ne devrait pas être confondue avec le mécénat. En effet, alors que le mécénat est mené de manière séparée de l’activité quotidienne de l’entreprise, la RSE devrait s’appliquer d’abord au cœur de métier de l’entreprise, dans les domaines où elle est reconnue comme efficace20, même si les directions d’entreprise incluent souvent aussi leurs actions « pour la communauté ».
En pratique, la mise en œuvre de la RSE consiste à rechercher un progrès continu sur les plans social, environnemental et économique. Elle couvre, par exemple, la qualité globale des filières d’approvisionnement, de la sous-traitance, le bien-être des salariés, leur santé, l’empreinte écologique de l’entreprise, etc. Cette mise en œuvre demande donc, outre une bonne perception de l’environnement de l’entreprise, des compétences en conduite du changement pour intégrer l’intérêt des parties prenantes, une connaissance fine des enjeux planétaires et de leurs déclinaisons politiques et réglementaires et, enfin, une connaissance des solutions techniques et managériales qui contribuent à l’amélioration des processus sanitaires, environnementaux et sociaux dans les organisations.
La RSE constitue la réponse des entreprises à un certain nombre d’enjeux mondiaux qui se présentent aujourd’hui de la façon suivante 21 :
Dans ce contexte, et compte tenu de l’origine anthropique de la plupart de ces phénomènes, la RSE se traduit ou devrait se traduire de différentes manières :
L’approche RSE peut permettre de mettre en œuvre, entre autres, de nouvelles régulations, que l’entreprise soit grande, moyenne ou petite, dans les pays développés, comme dans les pays en développement. Son avantage résiderait en l’instauration d’une meilleure « contextualisation » des activités économiques des entreprises, une meilleure structuration des relations avec les parties prenantes, et théoriquement une meilleure gouvernance d’entreprise. Chaque entreprise adapte cette démarche à son rythme et selon sa culture26.
Le concept de RSE se développe dans les pays développés à l’initiative d’organisations intergouvernementales ou régionales, à l’échelle mondiale ou régionale. Il se traduit par des déclarations de principe, des recommandations, des normes volontaires, voire se trouve imposé à divers degrés dans certaines législations nationales ou européennes.
Depuis les années 1980, sous l’impulsion notamment des ONG, les concepts de finance éthique, commerce équitable, développement durable étaient entrés dans le débat des instances politiques. Celles-ci ont fait appel aux universités et centres de recherches afin de faire des études pour développer des outils pour identifier le niveau de responsabilité des entreprises27.
Des recherches se sont concrétisées pour la RSE par la mise au point de référentiels internationaux (GRI), des codes de conduite des entreprises (Global compact) ou des certifications, normes ou labels (SA8000…) jusqu’aux audits sociaux ou environnementaux. Par ailleurs, différents outils pratiques existent pour faciliter l’intégration de ces normes à différents échelons dans les entreprises. Lors des procédures d’appels d’offres, par exemple, certaines entreprises utilisent aujourd’hui une encyclopédie exhaustive des clauses d’achats durables28.
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