Le biochar est un amendement du sol issu de la pyrolyse de biomasse. Il est utilisé en agriculture pour augmenter la qualité des sols, et donc leur productivité ; il est également utilisé dans la lutte contre le réchauffement climatique comme solution de séquestration à long terme de carbone atmosphérique dans les sols.
Le biochar se différencie du charbon de bois par sa composition car il ne contient pas de HAP (Hydrocarbures aromatiques polycycliques, classés dans la liste des polluants prioritaires par l’agence de protection de l’environnement des États-Unis). Il se différencie aussi du charbon de bois par son utilisation (comme intrant plutôt que comme combustible) et donc par son impact environnemental (non polluant, il agit comme un puits de carbone plutôt que de libérer du CO2 dans l’atmosphère lors de la combustion).
Le mot biochar est un néologisme anglais, composé du préfixe bio- (au sens de : d’origine végétale) et du début du mot charcoal qui signifie charbon de bois, c’est-à-dire la partie solide résultant de la pyrolyse d’un combustible solide. Il faut le traduire par : charbon à usage agricole. Une appellation moins courante mais moins ambiguë est celle d’agrichar. L’idée est qu’il s’agit d’un charbon utilisé pour améliorer ou restaurer les sols, qu’il soit issu de bois ou de résidus végétaux inexploités.
L’expression biocharbon, parfois employée comme équivalent de biochar, est impropre. En effet, la quasi-totalité des charbons, y compris ceux fossiles, ont une origine biologique. De plus, biocharbon désigne plutôt le charbon de bois, simple combustible.
À la fin du xxe siècle, des pédologues, archéologues et écologues ont étudié un type de sol particulier, très noir et riche, trouvé en Amazonie et dit Amazonian dark earth ou terra preta de índio.
Ils ont découvert que ce sol n’était pas naturel mais transformé par l’homme entre -800 et 500 — raison pour laquelle on le qualifie parfois d’anthrosol. Les Amérindiens de l’époque précolombienne auraient en effet utilisé (sciemment ou non, la question reste débattue) l’enrichissement du sol en charbon de bois pour améliorer sa stabilité et sa fertilité1,2,3. Divers auteurs ont montré qu’intégrer du charbon de bois dans des sols tropicaux fortement érodés ou érodables améliorait significativement leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques4.
L’analyse moléculaire des restes de charbon du sol laisse penser que si une partie du carbone provenait du bois brûlé lors du défrichement, une autre partie, significativement mieux représentée en profondeur, provenait de la combustion incomplète de déchets agricoles ou de bois dans les foyers domestiques5.
Lorsqu’ils ont été découverts par les colons européens, ces sols ont été appelés terra preta de índio.
Depuis quelques années, le biochar est à nouveau utilisé pour améliorer des sols agricoles dans divers pays tropicaux. Les techniques modernes permettent de produire ce charbon en utilisant certaines formes de pyrolyse, chauffant la biomasse à relativement haute température en l’absence d’oxygène dans des fours spéciaux6.
Destiné à restaurer ou améliorer les sols, le biochar, en tant qu’amendement, est alors intégré, sous forme de poudre ou de petits fragments, dans des sols de pépinière, de forêt, agricoles, de jardin ou horticoles (pots de fleur), dans le but d’améliorer les propriétés pédologiques (physiques, chimiques, biologiques) du substrat. Le biochar est étudié et recommandé par un nombre croissant d’auteurs pour améliorer et stabiliser les sols tropicaux, naturellement acides et pauvres, donc fragiles, qui ont été fortement dégradés par l’agriculture et/ou la déforestation, et sont actuellement érodés ou menacés par l’érosion7.
Le biochar, en tant que produit riche en carbone, stable et durable, a aussi une fonction de puits de carbone, ce qui explique qu’il suscite un intérêt croissant dans le contexte des préoccupations concernant le réchauffement climatique d’origine humaine. Il pourrait être une des solutions immédiates à l’impact globalement négatif des activités agricoles, car l’agriculture, si elle n’utilise que peu de carbone fossile sous la forme de carburants (environ 1 % de la consommation totale en France, à titre d’exemple), est fortement émettrice de gaz à effet de serre (18 % du total environ en France), et le travail du sol a dégradé le puits de carbone que constitue l’humus. De plus, une grande partie des palmiers à huile, du soja et des agrocarburants ont été cultivés depuis la fin du xxe siècle en détruisant les forêts tropicales (par le feu le plus souvent, c’est-à-dire en libérant le carbone stocké dans la biomasse ligneuse), en dégradant les sols protégés et enrichis en carbone par la forêt. Le biochar, piège à humus, permet de restaurer la capacité des sols à stocker une partie du carbone produit par la biomasse végétale8.
L’introduction de biochar dans un sol améliore la qualité de l’eau qui y circule. Il joue le rôle de filtre, fonction d’habitude laissée au charbon actif, et pourrait ainsi accroître la productivité des cours d’eau et des zones humides, en améliorant la ressource halieutique et en favorisant le retour d’un bon état écologique des masses d’eau superficielles et souterraines[réf. nécessaire].
Certains espèrent que la production de biochar pourra réduire la pression sur les dernières forêts anciennes9.
Le biochar a récemment été étudié en vue d’évaluer sa capacité à fixer des contaminants dans le sol, afin d’éviter la contamination de la chaine trophique. Les résultats sont encourageants, même s’il faut effectuer régulièrement des amendements pour pallier sa minéralisation (minéralisation qui entraînerait une remise en biodisponibilité de métaux lourds)10.
On a comparé les effets (seuls et combinés) d’apports de compost de déchets verts et d’un amendement au biochar sur un sol minier hautement pollué par du cuivre (Cu) et du plomb (Pb) [respectivement 600 et 21 000 mg/kg ou ppm] dans le Cheshire (Royaume-Uni). Ces deux amendements montrent un effet, mais différents sur la mobilité et l’absorption de ces deux polluants dans l’ivraie (Lolium perenne L. var. Cadix). L’apport de compost réduit mieux (< 5 mg/l) que le biochar le taux de Pb dans l’eau interstitielle du sol (> 80 mg/l avant traitement) , tandis mais le biochar se montre plus efficace pour diminuer le taux de Cu dans l’eau interstitielle. Un amendement biochar + compost fait diminuer le taux de Cu et de Pb des pousses de ray-grass au fur et à mesure des récoltes successives. Le compost de déchets verts seul, et additionné de biochar, améliore nettement les rendements en biomasse. Le taux de Pb des pousses de plante testées n’a été significativement réduit que par l’amendement au compost. Avec le biochar la biomasse de ray-grass récoltée est faible, ce qui in fine limite la quantités de Cu récoltable. Les effets de ces amendements sont donc complexes et peuvent s’opposer selon le métal concerné et le fait qu’ils soient utilisés seuls ou ensembles. Dans certaines conditions l’effet de réduction de la concentration de métal dans le tissus végétal peut être « contré » ou limité par une augmentation de la biomasse et donc de la biodisponibilité du métal11.
Des expériences scientifiques récentes7 laissent penser que le biochar (surtout s’il est associé à un apport de matière organique) peut contribuer à restaurer de nombreux types de sols tropicaux, même très acides et très altérés. Il pourrait ainsi jouer un rôle dans la restauration des forêts tropicales, mais aussi un rôle agronomique. Plutôt qu’un amendement (car il est très pauvre en nutriments), le biochar se comporterait comme un (re)structurateur7 du sol et peut-être comme un catalyseur, via des mécanismes d’action encore mal compris. Le taux de matière organique joue un rôle important dans la stabilité et la fertilité des sols, notamment pour ceux fortement exposés aux pluies tropicales12. Il semble par exemple pouvoir améliorer les cultures de céréales, épeautre notamment13.
Près de Manaus (Brésil), des scientifiques7 ont récemment testé l’application combinée d’engrais organiques et de charbon de bois, en différentes proportions, sur des parcelles de sols acides et très altérés, en les comparant à des parcelles témoins. Le charbon de bois utilisé a été produit à partir d’arbres d’une forêt secondaire locale, puis broyé en fragments de 2 mm maximum, incorporés au sol à raison de 11 tonnes par hectare (soit une dose de 1,1 kg de biochar par m2), ce qui correspond au taux attendu à la suite d’une culture sur brûlis dans une forêt secondaire moyenne poussant sur un sol ferralitique de l’Amazonie centrale14. Quinze combinaisons d’amendements ont été testées, apportant dans chaque cas une quantité égale de carbone (C), mais avec des proportions différentes de fumier de volaille, de compost, de charbon de bois ou de litière forestière. Ces sols ont ensuite subi quatre cycles de culture de riz (Oryza sativa L.) et de sorgho (Sorghum bicolor L.). L’expérience a démontré qu’on pouvait fortement augmenter les stocks d’éléments nutritifs dans la rhizosphère (zone racinaire), tout en réduisant le lessivage des éléments nutritifs du sol et en augmentant la productivité agricole.
Le charbon de bois augmente donc bien la fertilité du sol, surtout si une autre source de nutriments est ajoutée, mais par un mécanisme encore mal connu. Les auteurs émettent l’hypothèse qu’il contribue à mieux fixer les nutriments ajoutés par ailleurs, en les empêchant d’être lessivés (donc perdus) dans les sols soumis à une pluviométrie importante et par ailleurs pauvres en argile.
Les auteurs concluent donc qu’un apport combiné en matière organique et en biochar pourrait produire un sol imitant les propriétés favorables des terra preta7.
Notamment grâce à sa grande surface spécifique et ses capacités à améliorer la vie du sol, le charbon de bois augmente indirectement la rétention d’eau des sols, probablement à la suite de l’enrichissement secondaire des sols macroporeux en matière organique4. Tryon15 a montré dès 1948 que l’impact d’apports de charbon de bois sur l’eau disponible de sols forestiers variait selon la texture du sol : seuls les sols sableux voyaient leur teneur en eau fortement augmentée (plus que doublée). Cet auteur n’observait aucun changement dans les sols limoneux, et les sols argileux perdaient même un peu de leur capacité à retenir l’eau, vraisemblablement en raison de l’hydrophobicité du charbon de bois. Les sols à texture grossière (sableuse ou caillouteuse) seraient donc les seuls à profiter des bénéfices hydriques permis par le biochar. Une expérience a par exemple montré que la teneur en eau d’un sol sableux passait de 18 % à plus de 45 % (en volume) à la suite de l’apport de charbon de bois. Comme les sols sableux protégés par le couvert forestier, ces sols sableux enrichis en biochar sont aussi plus résistants à l’érosion. Cependant, si on prélève des sols sableux et qu’on les fait sécher puis qu’on les réhumidifie, ils ne retrouvent pas cette stabilité avant un certain temps (plusieurs mois en général), même artificiellement réhumidifiés. Ceci laisse supposer que les sols superficiels exposés au soleil et à une déshydratation complète pourraient ne pas bénéficier des effets positifs du biochar, au moins en surface.
La fixation microbienne de l’azote (celui capté dans l’air) expliquerait pour partie la conservation de la richesse du sol et celle des ions nitrate (NO3−), normalement très lessivables car solubles dans l’eau16,17.
Une disponibilité suffisante en carbone (permise ou restaurée par le biochar) stimulerait l’activité microbienne du sol, et sur une plus grande profondeur, en améliorant par là le cycle de l’azote, avec une moindre lixiviation des nitrates. Steiner et al. (2004) avaient montré18 que la croissance microbienne était améliorée par ajout de glucose dans un sol enrichi en charbon de bois, sans augmentation du taux de respiration du sol. Ce contraste entre une faible émission de CO2 par le sol et un fort potentiel de croissance microbienne est justement l’une des caractéristiques des terres noires amazoniennes ou terra preta18.
Le biochar grâce à sa grande surface spécifique fixe aussi divers toxiques présents dans l’eau du sol, et facilite l’épuration bactérienne de l’eau et des gaz du sol. Par exemple, de nombreux sols tropicaux ont des teneurs en aluminium et en mercure beaucoup plus élevées qu’en zone tempérée. La présence de charbon de bois diminue la biodisponibilité de ces toxiques19. Sur les sols ferralitiques testés par Steiner et al. (2004), riches en aluminium libre, l’apport en charbon de bois a aussi diminué le taux d’ions aluminium échangeables dans le sol, par un mécanisme encore mal compris. Steiner et al. (2004) note que l’aluminium était le mieux fixé quand des engrais minéraux étaient appliqués conjointement au charbon de bois (de 4,7 à 0 mg·kg-1)7. L’aluminium libre est un facteur toxique limitant la croissance des plantes20.
Un pH trop acide limite la production agricole21. L’acidité excessive est en soi un problème direct pour le développement des végétaux mais aussi indirect parce que l’acidité rend de nombreux toxiques — les métaux notamment — plus biodisponibles. L’auteure Stéphanie Topoliantz22 a montré que le charbon de bois améliorait la culture légumière sur un sol tropical acide, en diminuant le taux d’aluminium biodisponible, mais aussi en diminuant l’acidité du sol. Indirectement, le biochar favorise également la fixation de l’ion carbonate qui tamponne le pH du sol, facilitant ainsi le développement bactérien et limitant la biodisponibilité des toxiques naturels du sol23.
Une augmentation du taux de matière organique (humus) fait suite à l’oxydation lente du charbon de bois24,25. Cette augmentation pourrait aussi stimuler la désorption des phosphates et sulfates utiles aux plantes en libérant ces anions26.
D’autres aspects (catalytiques ou synergiques) font l’objet de recherches en cours.
Plusieurs types de production artisanales et industrielles coexistent :
Le biochar peut aussi être fabriqué à partir de poussières de charbon de bois alors agglomérées avec environ 20 % d’argile30.
Les sols de la planète (sols naturels relictuels + sols cultivés) contiendraient aujourd’hui 3,3 fois plus de carbone que l’atmosphère, soit 4,5 fois plus que la biomasse des plantes et des animaux terrestres n’en renferme hors-sol32, ce qui fait du sol un bon levier pour le stockage du carbone (voir aussi l’initiative 4p1000). Lorsque des écosystèmes naturels sont labourés et mis en culture, la plus grande partie du carbone piégé dans ces sols est libérée dans l’atmosphère sous la forme de CO2 ou de méthane, deux gaz à effet de serre, ou dans l’eau sous forme d’acide carbonique. Des millions d’hectares de sols naturels, forestiers notamment, sont mis en culture tous les ans, notamment pour la production de biocarburants33.
Le biochar et la terra preta qu’il peut former peuvent contribuer à la séquestration du carbone dans les sols végétalisés (cultivés ou forestiers) durant des centaines voir des milliers d’années34,35.
Le GIEC évalue le stockage de carbone grâce au biochar à entre 0,2 et 3 GtCO2/an soit beaucoup moins que les estimations précédentes datant de 201036.
Non seulement le biochar peut enrichir les sols en y augmentant fortement et durablement le taux de carbone (150 g C/kg de sol par rapport à 20-30 g C/kg dans les sols environnants), mais les sols enrichis par du biochar se développent naturellement plus en profondeur; ils sont, en moyenne, plus de deux fois plus profonds que les sols environnants[réf. nécessaire]. Par conséquent, le carbone total stocké dans ces sols peut être d’un ordre de grandeur plus élevé que les sols adjacents37,38.
Le biochar diminue les émissions du sol en CO2 et méthane, mais aussi en protoxyde d’azote (N2O ou oxyde nitreux), trois gaz à effet de serre préoccupants pour le climat39. Yanai et ses collaborateurs ont même constaté en conditions de laboratoire une suppression partielle, sous certaines conditions très dépendantes de l’humidité, des émissions de N2O quand du biochar a été ajouté au sol40.
Le piégeage et le stockage à long terme du carbone par le biochar ne nécessitent ni progrès technique ni recherche fondamentale car ses outils de production sont robustes et simples, ce qui le rend approprié pour de nombreuses régions du monde6. Dans sa publication dans le journal Nature Johannes Lehmann, de l’université Cornell, a estimé que la pyrolyse du bois sera rentable quand le coût de la tonne de CO2 atteindra 37 dollars US6.
Utiliser la pyrolyse du bois pour la production de bioénergie est déjà possible, même si elle est encore aujourd’hui plus chère que l’usage d’énergies fossiles.
Elle reste difficile. Selon une étude récente (2018), les méthodes disponibles de mesure de cette surface (y compris le standard BET et la méthode à l’iode) ne sont pas fiables, notamment pour les biochars très statiques, les biochars très fins et ceux qui contiennent un peu plus d’huile que les autres. En outre, les auteurs ont constaté que cette surface spécifique augmente avec la durée d’immersion du biochar dans l’eau41.
En termes d’écobilan écotoxicologique, les avantages semblent l’emporter sur les inconvénients et doivent encore être précisés par la recherche. Parmi les inconvénients, il faut citer les goudrons et le monoxyde de carbone produits lors de la production de biochar[réf. nécessaire], qui sont des polluants et des toxiques ou cancérigènes avérés. Mais cet aspect négatif est à mettre en balance avec le fait que le charbon de bois contribue à détoxifier l’eau42 et à la différence du fumiers et des fientes non compostés, le biochar ne pose a priori pas de problèmes d’introduction de germes pathogènes. Ceci présente notamment un avantage pour les cultures de légumes frais ou plantes à croissance rapide et se mangeant crus (radis, carottes, salades, etc.) qu’il ne vaut mieux pas mettre en contact direct avec des fumiers pour limiter les épidémies et le risque zoonotique.
L’utilisation du biochar peut aussi présenter certains risques pour l’eau, l’air, les sols, la santé ou la biodiversité43 ;
C’est donc (dans les limites évoquées ci-dessus) une solution localement utile et recommandée par un nombre croissant de chercheurs et agronomes (par exemple pour des plans de restauration de sols), mais qui pourrait aussi dans certains cas avoir des effets négatifs, éventuellement irréversibles sur certains sols naturellement pauvres en nutriments et pour cette raison riches en biodiversité, en particulier des milieux abritant des espèces endémiques rares. Une de ses utilisations les plus immédiates et avantageuses est de permettre de passer de la culture sur brûlis à une agriculture plus sédentaire gérant et protégeant ses sols (en association avec des jachères tournantes sur les sols les plus fragiles) pour stopper ou freiner la déforestation et la dégradation des sols conformément aux objectifs de l’ONU et de la FAO.
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